Des pierres et des cendres

le Haut-Sommerhof

A cet endroit se trouvait une grande ferme seigneuriale, une cense. Elle se situait à 930 mètres d’altitude. Ce lieu est désormais presque effacé par la forêt.

Extrait carte IGN 3716ET au 25 000ème. Télécharger l’original.

Cet immense espace de forêt privé est hérité du maître de forge de Grandfontaine, Champy qui racheta les biens du Baron De Dietrich, Seigneur du Ban de la Roche, à l’issue de la Révolution.

Cette ancienne cense fut baptisée du nom des censiers qui l’occupèrent durant plusieurs générations, les Sommer. Mais elle exista longtemps avant elle. On pourrait tout aussi bien la nommer cense de la Haute Goutte comme ce fut le cas dans de plus anciens écrits.

Sur un site souvent consulté, les écrits virtuels de Monique-Marie François, on trouve cette phrase : « Vers 1830, 1840… La ferme du Sommerhof, que l’on avait toujours connue pleine comme un œuf de deux ou trois familles de cousins ayant chacun une nombreuse marmaille, oui la ferme du Sommerhof elle-même se vide inexplicablement, en l’espace de quelques années, et finit par disparaître. » (cf. Disparition de la cense du Sommerhof).

Voilà qui pique ma curiosité. Les Sommer, comme beaucoup de familles sur ces fermes, étaient des anabaptistes.

Un habitant de Neuviller bien informé vous rajoutera que dans le mouvement libérateur de la Révolution, les paysans du village, désormais citoyens, sont montés là-haut avec les fourches. Ils n’avaient pas de griefs à proprement parler contre les locataires de la ferme encore que ceux-ci passaient certainement pour plus aisés et privilégiés que les villageois mais contre leur propriétaire, Champy. Celui-ci tenait à garder un maximum de biens privés alors que les communes réclamaient leur part. C’est qu’en ce temps-là, il fallait alimenter les forges de Rothau en charbon de bois. Qui dit charbon de bois, dit exploitation forestière. Et qui dit exploitation forestière et charbon de bois, dit aussi élevage de bœufs pour les transports. Cette affaire se solda par un accord entre Champy et les communes en 1813, après l’intercession d’Oberlin et du préfet Lezay-Marnésia.

A la toute fin de la période napoléonienne, le 6 janvier1814, après la retraite de Russie et le début de la campagne de France, il y eut à Rothau une résistance héroïque de partisans face à l’avancée des troupes coalisées envahissant la France. Celle-ci fut organisée et dirigée par Nicolas Wolff, le maire rothoquois de l’époque. On dit qu’il trouva refuge au Sommerhof et qu’il put se dissimuler en se faisant passer pour un domestique travaillant sur la ferme.

On sait aussi avec certitude que la ferme termina dans les flammes. Mais cet événement n’a pas de lien avec une période révolutionnaire ou une guerre. Une « ancienne » de Neuviller atteste que son grand-père, habitant de la Haute Goutte, lorsqu’il était enfant, avait entendu son père s’écrier qu’il y avait le feu au Sommerhof. Cela nous ramène tout de même à la fin du XIXème siècle.

Voilà résumés quelques faits relatifs à cette ferme. Pour en comprendre l’importance, il faut comprendre qu’à l’issue de la Guerre de Trente ans, quand de nouveaux habitants vinrent s’installer au Ban de la Roche, et particulièrement des Suisses, ces fermes furent souvent un passage, une porte d’entrée. Tenues en majeure partie par des fermiers anabaptistes, elles formaient un réseau. Citons pour ce qui nous concerne, des liens avec les fermes du Struthof et de Salm, avec ce vaste espace qui deviendra le Hohwald et que l’on nommait à l’époque Bois de Barr. Il faudrait bien entendu, pour avoir une vue d’ensemble, s’étendre à beaucoup d’autres lieux comme, par exemple les Quelles, le Bambois de Plaine, des fermes de Ranrupt, de Saulxures, du Hang à Bourg Bruche.

Sans qu’on puisse souvent discerner clairement qui, parmi les immigrés bernois, fut anabaptiste ou ne le fut pas – cela demanderait tout un travail de recherche et, pour bien comprendre, un travail d’explication approfondi sur le mouvement anabaptiste qu’on restreint trop, du moins en Alsace, à la mouvance particulière dont sont héritiers les Amish, force est de constater que des familles suisses importantes au Ban de la Roche passèrent par la cense de la Haute Goutte avant de s’établir et plus ou moins s’intégrer dans la population et le bain culturel ban de la rochois. Citons, par exemple, la famille Scheppler, la famille Ropp, la famille Koeniguer.

Je n’ai pas trouvé, pour l’heure, de document relatant exactement la fin de l’aventure au Haut-Sommerhof. Mais au fil de mes recherches généalogiques, j’ai pu retracer l’occupation de la ferme jusqu’à la toute fin du XIXème siècle et en esquisser le souvenir et le devenir de ses habitants.

Poursuivons !