Lorsque j’étais enfant, les discussions des adultes me fascinaient. Ils parlaient d’autrefois. Cet autrefois englobait souvent ce qu’ils avaient vécu de plus rude lors de la Seconde Guerre Mondiale. Je ne comprenais pas tout mais je comprenais qu’ils avaient été obligés de devenir Allemands et qu’ils n’aimaient pas, mais pas du tout, les Allemands. Ils parlaient aussi de temps plus éloignés. Ils évoquaient les souvenirs de leur jeunesse et, plus loin encore, ce qu’avaient pu dire et raconter leurs parents et leurs grands-parents. Ils m’emmenaient dans le temps. C’était leur expression. Et ce temps-là était tout autre que le nôtre. Il n’était pas plus gai mais il semblait plus droit. Il évoquait aussi un passé plus ou moins lointain, parfois mythique, souvent mystérieux, bâti de croyances et de mœurs différentes. Parfois, on était aux limites de la superstition, oserais-je dire de la diablerie ? La « haxélreï » dit-on dans le patois de mes ancêtres, roman mais plein d’emprunts au parler germanophone (alsacien, suisse, allemand).
J’ai mis beaucoup de temps à comprendre (à admettre ?) que mes grands-parents, nés aux alentours de 1890, avaient débuté leur vie comme citoyens allemands. Mes grands-pères avaient fait la Guerre de 14 avec l’uniforme allemand parce qu’ils étaient nés allemands. Leurs parents parfois, leurs grands-parents certainement étaient nés Français. Et dans cette Haute-Vallée de la Bruche où les gens parlaient un patois roman et non l’alsacien, on était plutôt enclin à conserver jalousement cet idiome qui perdurait depuis des siècles. Au temps du pasteur Oberlin déjà, une étude fut menée au sujet de ce parler spécifique. Avant Louis XIV, les Seigneurs étaient de parler germanique et étaient rattachés au Saint Empire Germanique. Mais la population de ce petit territoire parlait sa langue romane. Il y eut beaucoup de nouveaux arrivés après la Guerre de Trente Ans : des Suisses alémaniques, des Allemands aussi. Mais curieusement, le patois roman persista au point même que les descendants des Suisses qui ont repeuplé en nombre ce territoire sont imprégnés de l’accent et du parler local.
Avec l’âge adulte, vient le moment où les interrogations trouvent des réponses plus complexes que celles capable d’imaginer un enfant. Arrive aussi le temps, par la suite où l’on peut se pencher sur le temps passé et y chercher des réponses. Et c’est avec curiosité et humilité que j’aimerais ici rendre hommage aux gens qui vécurent à ces époques passées, dans ce magnifique endroit qu’est le Ban-de-la-Roche et, plus précisément, Neuviller-la-Roche, village natal de mes parents.
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