16 septembre 1791 La France vit sa Révolution. Restituons le contexte : Depuis les événements de juillet/août 1789, de nouveaux principes guident l’action politique du pays. L’Ancien Régime et ses droits fondamentaux ont été liquidés. On a d’abord tenté de conduire le pays en associant les élus du peuple et le Roi. Le 14 juillet 1790, eut lieu la fête de la Fédération pour célébrer la concorde et l’unité nationale retrouvée. Mais dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, le Roi s’enfuit de Paris pour tenter de trouver refuge dans les pays germaniques auprès des émigrés de la noblesse française et de son beau-frère Léopold II empereur du Saint-Empire romain Germanique.
La suite, on la connait : arrestation du Roi à Varennes, retour forcé à Paris. Il faudra encore attendre les événements de 1792 pour que la République soit proclamée , le Roi arrêté et jugé comme simple citoyen puis exécuté. Mais le pouvoir politique est désormais entre les mains seules de l’Assemblée Nationale. Les Monarchies voisines de la France ne sont pas encore entrées en guerre mais elles s’inquiètent.
L’Alsace, comme souvent, est aux premières loges d’autant que, même si elle est française depuis plus d’un siècle, des terres et biens impériaux persistent en Alsace, gérés selon des droits de suzeraineté médiévaux issus de temps désormais révolus.
Pour se recentrer sur le Ban-de-la-Roche très séduit par l’esprit de la Révolution, ayons à l’esprit qu’en franchissant simplement la Bruche à Rothau ou à Fouday, on quitte la France pour la Principauté de Salm encore indépendante. Cela n’est peut-être pas anodin dans le dramatique épisode raconté au travers du simple acte de baptême suivant :

Il s’agit d’une naissance d’enfant naturel. En cela, c’est une affaire dramatique. On apprend que la mère, Marie Jeanne Hisler, fille de feu Benoit a accouché d’un enfant et qu’elle a désigné le père, à la fois au pasteur Brion et à la sage-femme. La pratique est ancienne et commune de profiter des douleurs de l’accouchement pour soutirer ou confirmer des aveux.
Le père désigné est un certain Jacob SCHEER dont le père tient une cense dans la Principauté de Salm et chez qui la jeune femme a travaillé comme domestique. Les faits rapportés s’arrêtent là et si on peut imaginer bien des choses qui vont d’un amour réel mais interdit à des actes plus graves, on peut constater que la jeune femme doit subir seule les conséquences et qu’elle ne travaille plus sur la cense.
Rappelons-nous que même s’il habite à quelques dizaines de kilomètres seulement, Jacob SCHEER ne réside pas en France. Difficile donc d’aller lui demander légalement des comptes. Rien n’empêchait des remontrances morales et religieuses. Encore faudrait-il qu’à cette époque, bien éloignée de la nôtre, on ait eu ce genre de préoccupations vis-à-vis d’une jeune femme.
On possède trace d’une famille Scheer (Schaer, Schär) au Ban-de-la-Roche, d’origine suisse réformée. On y trouve le prénom de Jacob (Jacques en français). On y trouve un passage par la cense du Palais, au-dessus de Saulxures, dans l’ancienne Principauté de Salm. Les membres connus de cette famille et portant ce prénom sont mariés au moment de cet événement. Le fait de rejoindre des censes en Principauté de Salm fait aussi penser à des liens avec les familles mennonites habitant majoritairement ces lieux. Il est donc possible qu’un membre de cette famille se prénommant Jacob, vivant dans une cense ait pu être concerné sans qu’on ne puisse en aucun cas savoir de qui il s’agit.
Famille réformée ou mennonite ? La présence en terre de Salm où la majorité des censiers est anabaptiste pourrait laisser supposer une attiance envers ce mouvement religieux. Dans ce cas, on pourrait supposer des choix rendus difficiles voire impossibles entre un élan amoureux et des règles strictes interdisant toute relation en-dehors de la mouvance religieuse au risque de se faire excommunier et exclure de la communauté. Mais les indices sont ténus et sans grande valeur et on ne peut exclure une réalité plus sordide où la femme séduite mais supposée pécheresse n’a plus qu’à disparaître et subir son sort. D’autre part, plusieurs mariages ont eu lieu depuis plusieurs générations entre des membres de la famille Scheer et des femmes du Ban-de-la-Roche ce qui éloigne l’idée salvatrice pour la morale d’un amour rendu impossible pour des raisons religieuses.
Comme un symbole peut-être, pour le préserver, l’enfant est baptisé Innocent. Il mourra à l’âge de vingt mois et sa mère se mariera en 1796 avec Michel Mathias Malaisé de Wildersbach. Le couple aura deux enfants.
Un changement de droit. Le grand changement vient de cette phrase jusque là inédite dans les actes rédigés par un pasteur : « Conformément au Droit de l’Homme, à la pétition de la mère, et au décret rendu par l’Auguste Assemblée Nationale du dix-sept août dernier, le soussigné lui a donné le baptême… »
L’Assemblée Nationale a reconnu les Droits de l’Homme et du Citoyen. La mère peut demander le baptême au pasteur. Depuis les traités liant l’Alsace à la France, les protestants luthériens étaient reconnus en Alsace mais en cas de naissance naturelle, l’enfant était obligatoirement baptisé par le curé. Une manière de ramener à la religion catholique la brebis égarée. Il en était de même des mariages mixtes qui obligeaient les couples à rentrer au bercail, du moins du point de vue de Sa Majesté catholique. Les Droits de l’Homme reconnaissent la liberté de religion.
Un changement de ton ? Pour terminer mes réflexions à partir d’un simple acte de baptême, je suis frappé du ton du pasteur Brion. Il parle avec déférence de l’Auguste Assemblée Nationale. quelques années auparavant, il évoquait le Baron de dietrich, maître du Ban-de-la-Roche en utilisant le terme de Gracieux Seigneur, avec majuscules !






