Il était une fois le hadé* de Waldersbach

* Le hadé (hodé dans d’autres villages alentour) veut dire berger, vacher. C’est celui qui emmène paître les vaches du village sur le pâturage communal (le paiquis). On trouve le mot équivalent de hardier dans un acte du Ban de la Roche.

Un petit tour dans le passé

10 février 1706. Voici ce que dit le registre tenu par le pasteur Pierre Christophe MOREL :
« Jean SOMMER de la religion réformée berger à Valdersbach est mort au dit Valdersbach le 10 février 1706 par vers les 3 heures du matin et a été enterré le jour suivant dans le cimetière de Fouday, âgé de 34 ans. »

Acte lisible en ligne

Jean SOMMER est l’ancêtre des futurs habitants du Sommerhof. Il meurt à Waldersbach, est enterré dans le cimetière de Fouday et il est dit de la Religion réformée. On trouve un Jean SOMMER né à Waldersbach en 1671. J’ai aussi lu une autre source lui attribuant une naissance en 1672 à Sumiswald. La génération précédente vient en tout cas de Sumiswald.

Petite explication de texte : religion réformée évoque la confession religieuse des personnes venant de Suisse. La région d’origine (région de Bern) relie ces gens à la réforme initiée par le réformateur suisse Zwingli. L’enterrement dans le cimetière avec les autres protestants indique que peut-être, Jean Sommer ne vit pas à part de l’église officielle (de la Confession d’Augsbourg, donc luthérienne). On peut aussi se dire que le pasteur de l’époque accepte de laisser reposer les corps des protestants d’origine suisse dans le cimetière. En tout cas, Jean SOMMER est suffisamment intégré pour être admis dans la communauté, jusqu’à la mort.

On ne peut éviter de se questionner : Jean était-il anabaptiste ? Lorsqu’il meurt, le schisme provoqué par Jakob Amman émigré à Sainte-Marie aux Mines est encore tout frais. Pour rappel, Amman fonde le mouvement conservateur des Amish dans les années 1690 à Sainte-Marie-aux-Mines. S’il n’est pas suivi par les anabaptistes suisses et palatins, la majorité des anabaptistes alsaciens adoptent sa démarche.

Le nombre d’anabaptistes croît de manière importante. Les Seigneurs de Ribeaupierre encouragent leur arrivée au point qu’une soixantaine de familles anabaptistes s’installent à Sainte-Marie-aux-Mines. Un quart de la population.

Parmi les anabaptistes, certains sont plus souples, plus intégrés. Les plus pointilleux, souvent les nouveaux venus comme Jakob Amman leur reprochent de s’être compromis, éloignés de leur foi, de s’être assimilés aux us et coutumes alsaciennes. D’où le schisme entre Amish et les autres Mennonites.

Beaucoup de paysans suisses furent aussi proches du mouvement sans toutefois se détacher de leur église officielle. On parlerait aujourd’hui de sympathisants. En ce temps-là, on employait le terme de Halbtäufer. Täufer, c’est le baptiseur, l’anabaptiste. C’est le terme utilisé en allemand pour évoquer Jean (le) Baptiste, Johann der Täufer.

Jean était-il Halbtäuffer, « à moitié baptiseur » ? Ou, comme beaucoup d’anabaptistes installés avant le renouveau amish, sa famille faisait-elle partie des « compromis » ? Autour de Jean SOMMER, le hadé, on trouve un mariage avec un Loux, famille de Solbach. Mariage grâce auquel quelque héritage génétique des Sommer coule dans mes veines. Cet argument plaide, sinon l’intégration, du moins l’acceptation du milieu social et culturel dans lequel il était venu vivre. On imagine mal que sa famille ait vécu complètement en-dehors de la communauté villageoise.

Je n’exprime ici qu’une opinion s’appuyant sur quelques faits et dates. Il me semble que la descendance de Jean, à l’exemple de la majorité des anabaptistes d’Alsace a rejoint plus fermement le mouvement Amish. En 1712, paraît un décret d’expulsion des anabaptistes signé Louis XIV. Les communautés constituées vont se disperser vers des terres plus accueillantes (Duché de Lorraine, Pays de Salm, Pays-Bas, la Pennsylvanie dans le Nouveau Monde). Toutefois, les Seigneurs alsaciens qui apprécient les anabaptistes pour leurs qualités de fermiers et les innovations qu’ils ont apportées de Suisse renâclent à appliquer le décret. Les communautés de frères trouvent refuge sur les fermes éloignées, plus discrètes. Ce refuge permet de pratiquer sa religion plus facilement mais il accentue l’éloignement avec les entités villageoises et le resserrement autour des pratiques religieuses plus strictes. En plus de s’habiller différemment, de rejeter le mal, de vivre à l’écart des institutions politiques, judiciaires, religieuses, on continue de parler le dialecte bernois. Tout cela fait des générations anabaptistes du XVIIIème siècle une communauté de plus en plus renforcée dans ses particularités. Et les institutions politiques ne font qu’accentuer la chose puisque, si elles n’expulsent plus, elles tolèrent à peine ces gens à condition de discrétion. Seules les bibles familiales deviennent les témoins des événements de la vie des familles. A mon sens, la génération de Jean SOMMER, berger à Waldersabch n’avait pas encore connu à ce point ce repli communautaire.

Le fils de Jean, lui-même prénommé Jean se mariera avec Marie Barbe Neuhauser. Encore un nom, s’il en fut, qui ne laisse guère de doutes sur des liens anabaptistes. Après 1712, on peut supposer que ce dernier couple ait rejoint de préférence les territoires étrangers qui les mettent à l’abri du Roi de France. Lorsqu’on habite Waldersbach, rien n’est plus simple. On se rend à Fouday, on passe la Bruche et on se présente aux autorités et aux frères de la Principauté de Salm. Les fermes attendent, les bras ouverts, par exemple le Bambois de Plaine, les fermes des Quelles, de Salm. Plus loin, pourquoi pas, la ferme de la Crache sur la commune de Raon sur Plaine.

De toute façon, comme déjà mentionné plus haut, les Seigneurs d’Alsace ne furent guère pressés d’appliquer les ordres de Louis XIV, tout Roi Soleil qu’il fût, jusqu’au prince-évêque de Strasbourg, le Cardinal de Rohan. Ce dernier préférait certainement voir sa ferme du Struthof entre de bonnes mains anabaptistes.

Le couple Jean SOMMER, Catherine KOMMER (nés aux alentours des années 1670, décédés aux alentours des années 1705 à 1710), vivant à Waldersbach, dont la famille est originaire de Sumiswald en Suisse bernoise est donc à l’origine des futurs occupants de la ferme de la Haute Goutte. Ceux-ci auront un tel « impact » qu’on baptisera tout le secteur du terme Sommerhof (une ferme du haut, une ferme du bas ainsi qu’une superficie importante en contrebas du Champ du Feu actuellement recouverte de forêt. On peut supposer l’existence de grandes chaumes puisque ces fermes hautes en altitude vivaient d’élevage.

Ce sont les petits-enfants du hadé de Waldersbach qui viendront s’installer durablement sur la cense de la Haute Goutte.

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