La Chapelle

Mille sept-cent cinquante-deux. On démolit la chapelle de Neuviller. Elle est en ruines et devient désormais trop petite pour accueillir tous les paroissiens.

Cela nous annonce certainement une bonne nouvelle. Après ce qu’a subi la communauté du Ban-de-la-Roche au siècle précédent, la population s’accroît.

La Guerre de Trente Ans qui, autour des années 1630, a failli anéantir la population, est désormais un souvenir. Seules quelques familles ont survécu auxquelles se sont ajoutées les nouveaux venus dans le Ban. Beaucoup d’entre eux sont des Suisses venus essentiellement des alentours de Bern. Il a encore fallu passer l’épreuve de la Guerre de Hollande. En 1675, Belmont brûle. Wildersbach en prend aussi pour son grade.

Puis le monde d’ici s’est remis à tourner, tout doucement. Une famille, les Ponton est même parvenue jusqu’ici depuis l’Ardèche, aux alentours de 1700. D’autres arrivent du Haut-Rhin ou du pays de Montbéliard. Les mines se sont peu à peu remises en route depuis 1725. Les activités ont repris, lentement, sans toutefois effacer la misère.

Voici un extrait de l’autorisation de collecte signée par François Joseph Barth, Bailly de la Seigneurie du Ban de la Roche (Archives du Bas-Rhin 26414, 59) :

« … Que les préposés bourgeois et habitants des communautés de Neuviller et Wildersbach… nous ayant humblement représenté que leur église située au village de Neuviller… Soit par l’antiquité de la construction, soit par les grands vents survenus d’année à autre étant non seulement tombée totalement en ruines mais même hors d’état par l’accroissement du nombre des habitants… « 

Une nouvelle église s’est alors édifiée dans le village de Neuviller, à l’emplacement de l’ancienne chapelle, elle-même remplacée un siècle plus tard, en 1858, une nouvelle fois pour cause de vétusté, par l’église actuelle. Le pasteur Stuber de Waldersbach a assuré l’intérim à Rothau pendant que le pasteur Weidknecht sillonnait les routes durant plusieurs mois à la recherche d’aides pécuniaires. Il recevra cette aide de la société protestante aisée de Strasbourg mais aussi de Francfort.

En ce temps-là, une cloche est une fortune. On fond la vieille cloche de la chapelle. Une inscription évoque la date de 1573. La cloche actuelle qui a connu des refontes et ajouts successifs contient encore de la matière première de cette première cloche.

Le lieu-dit « La Chapelle »

Située sur une petite bosse dominant l’endroit le plus ensoleillé de la contrée, entre les deux villages de Neuviller et Wildersbach, ce lieu-dit est l’objet d’une interrogation sans réponse. Aux limites des deux bans communaux, se trouvent quelques pierres qu’on dit ruines d’une ancienne chapelle, bien à l’abri sous de grands chênes, occupant un site idéal, reposant, incitant à la contemplation.

Les deux villages de Neuviller et Wildersbach ont longtemps formé une communauté d’âmes. Un document consulté m’apprend que Wildersbach a eu église et presbytère mais qu’ils furent détruits par les maraudeurs Impériaux en colère de ne rien trouver à piller. Aucune date n’est mentionnée sur le document consulté mais on peut relier ces événements aux périodes sombres de la Guerre de Trente Ans ou de Hollande.

La chapelle de Neuviller est citée dans les archives paroissiales de Rothau dès les années 1640. Elle devint commune aux deux villages proches. Elle existait de plus longue date puisque sa cloche la fait au moins remonter à 1573. Elle fut catholique avant que les Seigneurs de Veldenz n’établissent définitivement le protestantisme luthérien dans la contrée en 1584 (protestantisme instauré dès 1578 par les Rathsamhausen). En ces temps anciens, la paroisse de Rothau englobe Wildersbach, Neuviller, Riangoutte et la Haute-Goutte. Le pasteur monte de Rothau pour célébrer ici, dans cette chapelle, outre les cultes habituels, les baptêmes et les mariages. Les morts, eux sont ensevelis à Rothau.

Mais de quelle chapelle parle-t-on dans le paragraphe précédent ? Eh bien de celle déjà située au cœur du village de Neuviller et qui deviendra église. On ne peut confondre avec les quelques vestiges se résumant désormais à quelques pierres que les gens d’ici « vénèrent » encore en se rendant si souvent en promenade au lieu-dit La Chapelle. On a même pris l’habitude d’y tenir un culte de plein air à la Pentecôte. Ces vieilles pierres et la persistance du nom dans la toponymie est pourtant à prendre en considération. Il y eut très certainement en ce lieu au moins un petit édifice religieux. On m’a parlé d’une ancienne carte – que je n’ai pas encore eu la chance de consulter – évoquant une chapelle portant le nom de Saint Luden. L’ancienne église de Natzwiller fut aussi vouée à ce saint aux temps où les pèlerins, venant de Lorraine, montaient en pèlerinage au Hohenbourg, plus connu sous le nom de Mont Sainte-Odile.

Je me permettrai ici une suggestion. Certainement une parmi d’autres. Neuviller, comme son nom l’indique, fut nouveau en son temps. On cite ce nom en 1434. Le village fut alors à peu près un lieu central dans la vallée de la Rothaine entre Rothau (nom cité en 1398)- Wildersbach (nom cité en 1489) et la Haute-Goutte (déjà citée en 1382) et Riangoutte. Il peut paraître logique d’y implanter une chapelle qui permet de ne pas se rendre à Rothau pour les offices.

Quant à la chapelle du lieu-dit, elle me paraît avoir eu une existence plus ancienne avant de disparaître complètement tout en restant dans le cœur des villageois (avant 1573 ?). Offrait-elle une protection aux cultures qu’on pratiquait à ses pieds ? Était-elle le premier lieu de vénération divine situé un peu trop à l’écart du futur village et certainement de taille assez réduite ? Était-elle une simple petite chapelle offrant repos et protection comme on en trouve souvent en pays catholique (dans les champs, au milieu des vignes…), ce que fut le Ban de la Roche avant que ses seigneurs n’optent pour le protestantisme ? Ajoutons encore que si l’on devait retenir le nom ancien de Saint Luden, on peut remarquer que de nos jours encore, la fête du village de Neuviller se tient à la Saint Louis.

Le lieu-dit la Chapelle reste un site mythique. On y trouve, protégés par de grands arbres, quelques pierres comme seuls vestiges d’une très ancienne chapelle . Désormais, on distingue de plus en plus difficilement l’emplacement du lieu de culte. Partant du village de Neuviller, cela reste une belle promenade à effectuer par temps ensoleillé. Sur le site, l’un des mieux exposés du village, dominé par le bois qui abrite les vestiges, on pratiquait la culture de pommes de terre et de seigle. Quand on arrive dans cet endroit, on se sent encore protégé. Et la mémoire collective a préservé intact le nom de ce lieu durant de nombreux siècles.

Pour en savoir plus :

On trouve ce document dans les archives paroissiales de Rothau, sous la plume du pasteur Weidknecht alors en poste :

(Rothau – Registres Paroissiaux (Avant 1793) – Paroisse protestante (Avant 1793) – Registre de baptêmes mariages sépultures 1742-1774 – 3 E 414/5)

Transcription :

L’an 1752. On a démoli la chapelle de Neuviller étant trop petite pour contenir tant des auditeurs, et on a posé le 14ème juin les fondaments d’une nouvelle église au nom de Dieu laquelle on a achevée par l’assistance de Dieu dans l’espace de six mois. Les habitants étant fort pauvres Dieu leur a excité des bons et hauts patrons Savoir dans la ville de Strasbourg S. T. le Docteur et Professeur en Théologie Reuislin par ses soins, leur furent procurés et donnés plus que quatre cents livres des charitables âmes ; et dans la ville de Francfort sur le Main et autres lieux de l’Empire, on leur a cueilli 192 (Reich)thalers argent comptant. Ce nouveau temple fut béni et consacré à Dieu le premier jour de l’an 1753.

Par Jean Michel Weidknecht Ministre de Rothau, qui a cueilli la susdite somme de 192 thalers avec beaucoup de peine.

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